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Le blog de Cathy Yogo
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26 mai 2020

Une star adulée et controversée

 

javis

Aloa Javis. L’un des derniers porte-étendards du Bikutsi s’en est allé, laissant de nombreux classiques à la prospérité.

Opérateur prend la fuite après s'être offert les services de la fille, ceux de la mère et ceux de la tante. Extrait de la chanson "Opérateur" d’Aloa Javis et son groupe les Idoles de Nanga-Eboko sortie en 1977. Une véritable ode aux prédateurs sexuels, soutiennent les critiques musicaux. La chanson fait pourtant un carton dans les bars, les mariages et les autres rassemblements festifs. Le refrain d’Operateur est repris à cœur joie ici et là. Parfois, on l’écoute en cachette, loin des regards. Un peu comme certaines personnes le faisaient avec les chansons de K-tino, jugées obscènes. Gervais Mendo Ze, Directeur général de la Cameroon Radio Television (CRTV) en son temps, avait censuré les passages de la chanteuse de Bikutsi sur ce média d’Etat.

En 1971, la chanson "Subugu Mu" qui, traduit de l’Ewondo au français, signifie «Approche-toi de moi », surfait sur la même vague. Ici, la femme est présentée comme l’objet de l’homme à qui elle doit s’offrir. «Dois-je négocier la chose que j’ai achetée avec mon argent. Ne sais-tu pas que les échanges amoureux sont le socle d’un mariage heureux», s’interroge Aloa Javis dans ladite chanson. Ceci est la manifestation de la misogynie active des Africains, avec un brin d’humour, souligne au passage Jean-Marie Ahanda, chroniqueur musical. La dot devient le gage du sexe. Choqué par ces paroles, Mgr Jean Zoa, alors Archevêque de Yaoundé, déconseille vivement la chanson à ses fidèles. D’ailleurs, la Bible dit que la femme doit être soumise à son mari. En retour, il doit l’aimer comme lui-même. Peine perdue ! La chanson plaît au public qui lui donne son onction. Pourtant, dans ses chansons, Aloa Javis défend aussi la femme. Le titre "Mayi Nna" de l’album Satan Edin (amour maléfique), évoque le pénible concubinage, "l’Iboane", "Le Viens on reste" pour emprunter au langage populaire, d’une femme devenue le souffre-douleur de son compagnon. «Tu as su m’amadouer pour que je vive avec toi. Où sont donc le mariage et les cadeaux que tu m’as promis ? Aujourd’hui, dès que tu es ivre, tu t’en prends à moi », pleure la femme.

Les œuvres du regretté chanteur de Bikutsi étaient d’actualité dans les années 70. Une époque où l’on chante la femme sous toutes les coutures. Le pionnier du Merengue au Cameroun, Cherami de la Capitale, célèbre la beauté de "Sophie". C’était l’une des plus belles femmes de Yaoundé va-t-il nous confier dans un entretien, deux ans avant sa disparition. Dans la chanson "Mariloulou", Meyong Ambroise et les Vétérans de Yaoundé, eux, se rappellent des bottillons et des chemises Julien de la sulfureuse femme à qui la chanson doit ce titre. C’était l’une des célèbres clientes d’Escalier, ce mythique bar dancing de Mvog-Ada qui ne désemplissait pas. En somme, dans les années 70-80, soit les chanteurs célèbrent les atouts physiques de la femme, soit ils sont critiques à son endroit. Insoumise, infidèle, sans cœur… On l’affuble de tous les noms d’oiseau pourtant on ne s’en passe pas. La tendance est mondiale et se vérifie à plusieurs niveaux. Les mouvements féministes s’en offusquent et l’Onu déclare "l’année de la femme" en 1975.

Elvis Presley et Archangelo de Monaco

Avec sa voix et ses mots, Aloa Javis et son groupe les Idoles ont non seulement marqué une certaine génération, mais leurs chansons sont intemporelles. Aujourd’hui, sans gêne, ils sont nombreux à reprendre leurs refrains. Ce qui était alors perçu comme des musiques populaires pour une certaine élite, qui n’écoutaient qu’Otis Redding, Claude François et les autres musiques françaises, font des milliers de vues sur YouTube. Les disques des Idoles sont des pièces de musée. Plusieurs générations ont repris les chansons d’Aloa Javis. Mon coup de cœur, "Mayi Ni" revisité par Ange Ebogo Emeran, dans l’album Sita du Testament du Merengue.

Aloa Javis de son vrai nom Josaphat Etoundi Aloa Mengue est né le 17 mai 1949 à Nkondougou, dans la Mefou-et-Akono, région du Centre. Ses parents lui inoculent le virus de la musique très tôt. Son père Germain Etoundi joue aux balafons, Rose Mbazoa sa mère est chanteuse et son oncle Mengue joue au Banjo. Il fait ses études primaires successivement à l’école publique de Nkondougou IV, puis à l’école principale d’Obala où il obtient son CEPE. Des années plus tard, il dépose ses valises à Yaoundé chez son grand frère Valère Essi, mécanicien-tôlier. Il y apprend alors la boxe et la guitare basse. Mais, sa rencontre avec Ela Engelberg dit Nablon, un musicien de Cherami de la capitale avec qui il formera un groupe plus tard, le convainc de faire carrière dans la musique. C’est le début d’une belle aventure pendant laquelle Nablon et Archangelo de Monaco lui apprennent le solfège.

Javis devient un artiste complet. Auteur, compositeur, interprète, il joue aussi de la guitare  basse, de la guitare solo et du balafon. Le jeune Etenga prend le pseudo de Javis, une combinaison des premières lettres de son prénom Josaphat, son nom Aloa et la dernière syllabe d’Elvis, en mémoire à Elvis Presley son idole.

En 1970, à quelques heures d’un spectacle à Nanga Eboko, Nablo lâche son binôme et entre dans les rangs de la police camerounaise. Javis est alors obligé de se produire avec des jeunes du coin : Assouma Mvoto, Valère Zeh Ovamba, Barthelemy Dah, Simon Akoulou, Evina, Jean Paul Samba, Sala Bekono… C’est la naissance des Idoles de NangaEboko dont Aloa Javis est le lead et le chef d’orchestre. «C’est lui qui donne ce nom. Il s’inspire de "Salut les copains", un magazine français paru dans les années 60et qui présentait l’actualité musicale des idoles des jeunes», se souvient Zeh Valère. Le sexagénaire installé à Mbandjock non seulement a été le 2ème bassiste des Idoles, mais également le dernier membre de ce groupe mythique encore en vie. Nous lui souhaitons des années en plus, une santé de fer et, pourquoi pas, un retour dans la musique, notamment pour transmettre sa longue expérience. L’homme garde de son mentor l’image d’un professionnel rigoureux qui aimait ses musiciens.

En 1971, le groupe sort un 45 Tours avec les titres "Subugu Mu" et "Minal Mi", produit par Sonodisc. Située dans le 15ème arrondissement de Paris, cette maison de disques créée dans les années 1950, était spécialisée dans les musiques africaines et caribéennes. L’enregistrement se fait dans le studio de Radio Cameroun.

"Subugu Mu" tue le groupe

Le succès est là. Javis et les Idoles engagent une tournée à travers le Cameroun. Ils jouent les  premières parties d'artistes à Maïduguri au Nigéria. En 1977, ils rentrent en studio pour sortir un album de 3 titres. "Opérateur" de l’Assiko, "Mezik me Koba" de l’Olak et "Mading Wa Abui", un Makossa. Le tout chanté en Ewondo. Sa discographie est également riche de plusieurs autres titres dont "Nkumu Assengué", Dze Ya Ye Mayi", "Aimée", "Salomé". Toutefois, si le groupe affiche une sérénité, quelques tensions règnent. «Le groupe formait une famille. Or "Subugu Mu", notre premier 45 Tours, sort estampillé Javis et les idoles. Je fais la remarque, mais grisés tous par le succès retentissant du 45 Tours, nous décidons de minimiser cette entorse. Pourtant le ver était dans le fruit. Ce même 45 Tours allait être à l'origine de notre dislocation quelques années plus tard. En fait c'est le reste du groupe qui a décidé de se séparer de Javis», déplore Valère Zeh Ovamba. Après une vingtaine d’années passées à NangaEbogo où il fera également la rencontre de Betty Joseph (Bejos),

Aloa Javis dépose ses valises à Yaoundé, après un bref séjour à Mbalmayo. Avec le matériel que lui prête un certain André Edou, il joue dans un bar dancing voisin à Eldorado Mvog-Ada. Escalier, Mango, Paquita, bref tous les bars à la mode de cette époque ont vibré au son de sa voix.

Des années plus tard, il s’achète un orchestre grâce au million et demi qu’il obtient après la signature d’un contrat avec le promoteur Etienne Kotto qui l’affilie à la Sacem. Jusqu’à sa mort le 12 mai 2020 à l'âge de 71 ans à Yaoundé, des suites d’un cancer de la prostate, Aloa Javis ne comprenait pas que ses droits d’auteurs ne lui permettent pas de vivre décemment. Ce qui explique ses multiples appels à l’aide dans les médias pour subvenir à ses soins. Malgré la précarité de ses derniers jours, à l’instar du défunt Messi Martin, Papa Aloa comme l'appelaient affectueusement ses proches, est toujours reconnu comme un des pères du bikusti qui a marqué son époque. Il était à cet effet, le vice-président du Comité des sages de la musique camerounaise. Depuis l’annonce de sa mort, son domicile au quartier Ayene à Yaoundé, ne désemplit pas. Les proches viennent présenter leur sympathie à sa veuve. Laquelle, dit-on, regarde en boucle la dernière scène de son époux. C'était en 2018 sur Tam-Tam Week-End à la Crtv. Ce jour-là, sur le podium de l'émission dominicale présentée par Master Ivo, Papa Aloa a interprété "Subugu Mu", ce titre-culte qui, pendant près de 50 ans, va remettre sans cesse le chanteur au goût du jour. Un peu marqué par les signes de l’âge, il a quand même esquissé des pas de danse, c’était également l’une de ses spécialités.

En 2017, à l’occasion du 23ème anniversaire du Festi-Bikutsi, René Ayina, le directeur, décide de rendre hommage à Aloa Javis et Betti Joseph, deux légendes vivantes qui selon lui, auront consacré l’essentiel de leur vie à la promotion du Bikutsi. «Aloa Javis fait partie des artistes ayant permis au Bikutsi de prendre de l’envol. C’était l’un des rares à avoir animé dans tous les bars de Yaoundé où on faisait de la musique était sorti un peu de la scène et nous avons trouvé honnête de l’y ramener», se souvient René Ayina. Une reconnaissance symbolique, mais pleine de valeur et surtout d’émotion. «Aujourd’hui, nous lui disons que la terre de nos ancêtres lui soit légère et qu’il parte en sachant que nous l’avons beaucoup aimé et nous continuons à aimer ses chansons », souhaite celui qu’on appelle également le Maestro, la voix pleine d’émotion. Salut Javis ! Va rejoindre Cherami de la Capitale, Messi Martin, Meyong Ambroise…Tous tes copains de la scène avec qui tu as enflammé de nombreuses scènes.

Cathy Yogo

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  • Ce blog est un clin d’œil au quotidien des immigrés en France, ma terre d’accueil depuis 2013. Un regard curieux de la journaliste que je suis. Une envie d’interpeller la société en peignant notre vécu de belles couleurs. Une simple envie de m’évader.
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