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Le blog de Cathy Yogo
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24 mai 2020

Vincent Nguini: Je n'ai jamais reçu de reconnaissance nationale

NGUINI 2

Le guitariste estimait que les cadres du ministère de la Culture qui s’occupent de la section musique devraient au moins savoir ce que c’est. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ignorent tout de cet art.

Quelle appréciation faites-vous de la musique africaine et en particulier de la musique camerounaise en cinquante ans ?

De manière générale, la musique camerounaise a évolué. Cette évolution s’est matérialisée par l’émergence de bons musiciens, notamment des bassistes, dont le talent est respecté à travers le monde. Ils ont eu des modèles comme Manfred Lom, Dikotto Madengue, Jo Tongo et Vicky Edimo. Il faut cependant rappeler qu’après l’indépendance, en Afrique, la musique était divisée en deux tendances. Il y avait, d’une part, les musiciens d’expression anglaise (Ghanéens, Nigérians et Sud-Africains), qui étaient de très bons musiciens formés en Europe et dans les pays anglo-saxons (Usa et Angleterre). Ils savaient lire et écrire la musique et faisaient surtout du High Life, du Jazz, du Rythm and blues et du Calypso. Par contre, ceux d’audience française, les musiciens camerounais en l’occurrence, produisaient de la Pachanga, la Tchatchatcha, le Mérengué et la Rumba. Des rythmes qu’ils interprétaient avec une technique musicale médiocre. Ils jouaient surtout de l’oreille.

De manière générale, comment nos rythmes sont-ils appréciés sur la scène musicale internationale ?

Je tiens à noter que les musiciens camerounais n’ont pas inventé la guitare, le piano et les instruments à vent dont ils se servent pourtant. Nos ancêtres nous ont légué le Medjang, le Mvet, l’Oyeng et les percussions dont on ne se sert malheureusement que très peu. Pourtant, à l’instar des musiciens de Bikutsi, nous devons plus que jamais puiser dans notre folklore. En plus du groupe de Paul Simon où j’ai apporté le Bikutsi avec le morceau "Proof", d’autres Jazzmen américains s’inspirent aussi du Bikutsi qui est resté authentique. Par contre, lorsque je fais du Makossa, on me fait toujours remarquer que c’est une pâle copie de la musique latino.

Quels sont les facteurs qui expliquent ce phénomène ?

Le Bikutsi est connu à l’échelle internationale parce qu’il est resté, pour l’essentiel, authentique. Ce n’est pas le cas du Makossa qui s’est dénaturé à partir des années 1980. Ce rythme est très influencé par le Ndombolo, le kwassa kwassa et le coupé-décalé. Ce n’est plus le makossa pur comme celui que faisaient les regrettés Eboa Lottin et Françis Bebey.

L’autre raison qui peut expliquer ce phénomène, c’est que certains rythmes comme l’Assiko, les musiques du Grand Nord et celles des Pygmées sont délaissés. Les musiciens ne sont pas formés à la base. En travaillant avec certains jeunes, j’ai constaté qu’il y en a parmi eux qui ne maîtrisent même pas les fondements de la musique. Ils sont livrés à eux-mêmes et n’ont pas la chance, comme moi, qui a été encadré à mes débuts par des aînés assez outillés. Je pense ici à Ringo, Ted Mukulu, Francis Kingué, Papa Noël… Le manque de structures d’apprentissage de la musique y est aussi pour beaucoup. Le Cameroun devrait au moins avoir un conservatoire municipal.

Et ces musiciens qui font la fierté du Cameroun…

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bons musiciens camerounais. La notoriété des jeunes comme Richard Bona, Justin Bowen, Jay Lou Ava, André Manga, Guy Sangué, Etienne Mbappé, Ndoumbé Papi, Jean-Jacques Elangué, Betsem qui est un très bon trompettiste installé en Angleterre, n’est plus à prouver. Il y en a même qui font de la musique classique. Au Cameroun, on ne connaît pas certains de ces musiciens ; les médias qui ne parlent pas toujours d’eux. Le fait que le Cameroun ne les invite pas dans les manifestations qu’il organise n’aide pas les choses. Tout porte à croire que chez nous, la musique commence et finit avec certains artistes. C’est toujours les mêmes qu’on invite.

Le ministère de la Culture ne vous a donc jamais invité à une manifestation?

Sauf oubli de ma part, le ministère de la Culture ne m’a jamais invité à une manifestation. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent. Le concert du cinquantenaire a eu lieu à Yaoundé en décembre dernier alors que j’étais au pays. En revanche, à l’occasion du Festival national des arts et de la culture qui s’est tenu en décembre 2008 à Maroua, le ministère de la Culture a sollicité mon expertise. Mais, nous ne sommes pas tombés d’accord. Je voulais plutôt y intervenir en tant que musicien.

Quelles propositions faites-vous pour remédier à cette situation ?

J’ai parlé de la formation des musiciens avec la création de structures d’apprentissage. J’ai aussi évoqué les médias qui ne font pas assez leur travail. Mais, ce n’est pas tout. Il faut également nommer des gens compétents à la place qu’il faut. Malheureusement, nous faisons le culte de la médiocrité. Au ministère de la Culture, par exemple, les cadres qui s’occupent de la section musique devraient au moins savoir ce que c’est. Beaucoup d’entre eux ignorent tout de cet art. Le ministère de la Culture doit réorienter ses actions afin de mieux valoriser la musique camerounaise. Il ne doit pas organiser des évènements pour le plaisir comme le Fenac, qui n’a rien rapporté au Cameroun. Y a-t-on décelé des talents ? A-t-on fait des archives ? Je ne crois pas.

Ici même au pays, il est difficile de trouver des archives sur notre musique, alors que c’est l’essence même de notre culture. L’orchestre national n’a pas d’instruments de musique. Comment comprendre que Yaoundé n’a même pas une bibliothèque municipale.

Certains pensent que vous n’aidez pas non plus les musiciens camerounais ?

Je suis parti du Cameroun avec 4000 Fcfa en poche. Mais après 23 ans passés aux Etats-Unis, j’ai gardé la nationalité camerounaise. Il n’y a pas meilleure marque de patriotisme que celle-là. Je reprécise que le Cameroun ne m’a jamais formellement sollicité. Je n’ai jamais reçu de reconnaissance sur le plan national. Pourtant, j’ai reçu un disque d’or et un disque platine de la maison Warner Brother aux Etats-Unis. L’un m’a été volé lorsque je suis venu le présenter au Cameroun. Aux Etats-Unis, je fais parallèlement des masters class dans des universités comme Havard et le Barclays scholl of music. Je reste disposé à aider les musiciens qui viennent spontanément vers moi pour apprendre.

Vincent Nguini ne chante-t-il pas pour l’élite finalement?

Je fais de la bonne musique africaine avec toutes les influences que j’ai subies à travers le monde entier. Trouver un rythme à ma musique c’est difficile, c’est la musique africaine progressive influencée par le High Life. Mon public est varié, Il va de la classe moyenne à l’élite.

 Que pensez-vous de la piraterie ?

La piraterie est un phénomène mondial dont je souffre également. Mais c’est plus accru au Cameroun où un Cd se vend à 300 Fcfa ? C’est impensable ! Le Gouvernement devrait sérieusement s’impliquer dans la lutte contre la piraterie en remontant les filières. J’ai appris ce qui est arrivé à Lady Ponce dont le dernier album a été piraté en studio.

Aux Usa, tous les gros studios d’enregistrement ont fermé et le disque est mort. Virgin et Tawa, les deux plus grandes maisons de disques ont aussi fermé. Maintenant, on télécharge plus les musiques. N’empêche, la piraterie n’y est pas aussi violente qu’au Cameroun.

Comment expliquez-vous le fait que vos disques ne soient presque pas visibles dans votre propre pays?

C’est vrai. Mes Cd sont vendus en circuit parallèle car je n’ai pas de distributeur sur place. La situation va s’arranger car je suis en train de m’arranger avec quelqu’un qui va sortir toute ma collection. Je vais essayer de la mettre sur le marché. C’est bien pour la nation camerounaise, c’est bien pour les jeunes, la nation.

Que faites-vous à part la musique ?

Je fais de la musique depuis 38 ans. C’est ma passion. Pendant le peu de temps qui me reste, je fais de la boxe et la cuisine. J’aime faire le barbecue. Certaines personnes pensent que vous êtes plutôt simpliste... Ce sont les tonneaux vides qui font du bruit. Je n’en suis pas un.

Vous parlez très peu de votre vie familiale?

J’ai une fille qui vit ici au Cameroun. Après 15 ans de mariage, je me suis séparé de mon épouse noire américaine. Je réapprends à vivre seul.

Peut-on en savoir un peu plus sur votre carrière musicale ?

J’ai commencé la musique en 1968, à l’époque de la Pop Music, des Beatles et de Jimmy Hendrix. Je suis allé l’étudier au Ghana, en Suisse et aux Etats-Unis. J’ai fait beaucoup d’arrangements et j’ai joué dans plusieurs groupes, notamment celui de Manu Dibango dont j’ai été le chef d’orchestre pendant cinq ans. Valery Lobe, de regrettée mémoire, Bens Belinga et moi, avions aussi créé un groupe, le Malako de Paris. Après la France, je me suis installé aux Etats-Unis où je vis depuis 23 ans. Avant de me mettre avec Paul Simon, j’ai travaillé avec plusieurs musiciens de renom tels que Stanley Clark, Marc Anthony, Jonathan Butler…

Avec Paul Simon dont je suis le chef d’orchestre, l’arrangeur et le guitariste, selon les projets, j’ai joué dans les plus grandes salles de la terre. Nous avons joué à la Maison Blanche à l’occasion de l’investiture de Bill Clinton, au Wembley Arena pendant un mois, au Madison Square à New York, au Royal Albert Hall en Angleterre pendant deux semaines, au Tokyo Home. Avec Paul Simon le record de l’affluence dans un spectacle. Nous avons fait un show devant 750 mille personnes à New-York.

J’ai appris l’arrangement au vrai sens du terme, la composition, mais mon instrument de base c’est la guitare. Je ne me considère pas chanteur. Je chante juste mais je ne crois pas que Dieu m’a gratifié d’une très bonne voix.

Qu’en est-il de votre discographie ?

Depuis deux ans, je ne trouve pas le temps de terminer mon prochain album. A cause de mon emploi du temps très chargé avec Paul Simon. J’ai vendu beaucoup de disques, Combien ? Je ne sais pas. Le premier, "Symphonie Bantu", est sorti en 1994. Il y a eu ensuite "Mezik Me Mvamba", "Sunshine Day", "Traveller" et "Douma". Lorsque je suis allé chercher mes droits d’auteur à la Socam, on m’a donné 15 000 Fcfa, que j’ai d’ailleurs refusé de prendre. C’est de la rigolade. J’ai l’impression qu’au Cameroun, les droits sont repartis de manière arbitraire. En Amérique, l’Ascap collectionne tous mes droits et je n’ai pas de problème.

N.B. Le quotidien Le Jour l’a rencontré mercredi 20 janvier 2010 au restaurant le Sintra, situé à l’avenue Kennedy. Autour d’un café, nous avons évoqué ses débuts dans la musique, sa longue et prodigieuse carrière, du Ghana aux Etats-Unis où il a déposé ses valises, en passant par la France. Vincent Nguini a aussi parlé de ce que le Cameroun fait pour promouvoir la culture de notre pays. Pour lui, le ministère de la Culture doit réorienter ses actions pour mieux valoriser la musique camerounaise.

 

Discographie

1er album - Symphonie Bantu

2ème album - Mezik Me Mvamba

 

3ème album - Sunshine Day

4ème album - Traveler

5ème album – Douma

 

 

 

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  • Ce blog est un clin d’œil au quotidien des immigrés en France, ma terre d’accueil depuis 2013. Un regard curieux de la journaliste que je suis. Une envie d’interpeller la société en peignant notre vécu de belles couleurs. Une simple envie de m’évader.
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